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BABETTE ET LILA

 

BABETTE ET LILA

 

 

   C’était un beau mois de mai. Même les pluies avaient le parfum des orages d’été. Je marchais depuis Le Puy sur ce chemin millénaire, sur le chemin de Compostelle.

C’est dans le Gers que j’ai rencontré Babette et Lila. J’ai marché avec elles pendant plusieurs jours, jusqu’à ce croisement où elles partaient vers le « Camino del Norte », en passant par Hendaye et la côte nord de l’Espagne, tandis que je continuais vers St Jean Pied de Port pour poursuivre sur le « Camino Francès », le plus fréquenté, le plus international des chemins de Compostelle en Espagne.

Elles étaient très copines, très complices, en contraste avec une différence d’âge, Babette la cinquantaine, et Lila la trentaine. Elles étaient très jolies, très belles toutes les deux. Babette, très brune, les yeux d’un bleu méditerranée, un regard rieur et un sourire permanent. Lila, cheveux courts, blonde, des yeux noisettes et une bouche de poupée. J’avoue avoir été amoureux des deux sans jamais leur avouer. Au fil des étapes, elles m’ont raconté l’histoire qui les avait emmené ici, sur ce chemin. Une histoire comme seul l’amour peut en inventer.

 

  Elles s’étaient rencontrées au salon de beauté de Babette. Lila venait faire un  massage ayurvédique. Elles ont de suite bien accrochée et, à force de massages et de soins, elles ont fini par se voir en dehors du salon. Célibataires toutes les deux, elles ont partagé des sorties, des week end, puis des vacances : les boites de nuits, les mecs qui venaient les draguer,…

Un jour Babette a raconté à Lila comment elle se sentait tomber amoureuse, elle qui n’y croyait plus (et de moins en moins à force qu’elle s’enfonçait dans son âge) d’un mec de son âge, cinquante balais passés, avec qui elle avait un peu flirté quand ils avaient 20 ans. Puis il était parti de la région. Ils venaient de se retrouver sur Facebook, timidement. Ils se sont vus pour prendre un verre. Puis un resto. C’est quand elle lui a dit qu’il était photographe et qu’il avait un fils, la trentaine, Jules, photographe aussi, que Lila a compris, surprise, qu’il s’agissait de celui qu’elle aimait en secret elle aussi. Depuis longtemps, depuis son adolescence, elle aimait le père de Jules, qu’elle voyait pendant les vacances d’été. Elle avait été tellement fascinée par cet homme mur aux yeux gris-bleus lumineux qu’elle n’avait jamais cessé d’en rêver, de plus en plus chaque été, toujours impatiente que juillet arrive! Elle aussi venait de le retrouver et elle n’en avait pas encore parlé à Babette. Il lui avait proposé de poser pour lui pour une série de clichés et elle n’avait pas réfléchi longtemps pour accepter, un « oui ! » rapide, à peine le point d’interrogation fermé !

Alors, quand Babette lui dit le prénom de ce photographe, elle a immédiatement vu un voile sur le visage de sa copine, et un ange passer.

  • Tu connais ?
  • Oui
  • Ne me dis pas que c’est un « ex »
  • Non, non….c’est juste que…non, pas un « ex »

Babette, un peu apeurée de comprendre, enfonça la porte entre-ouverte :

  • Un futur ?
  • Un rêve !

Elles se sont regardés longuement dans les yeux, comme pour se demander « c’est quoi la suite ? ». Puis elles ont éclaté de rire !

  • Tu fais chier, dit Babette, pour une fois que je suis amoureuse, peut être la dernière fois de ma vie…
  • C’est toi qui fais chier ! Je suis si prête du rêve !

Elles ont passé la nuit, chez Babette, à parler de leur amour commun pour le même mec, en buvant des bières blanches et du vin blanc. Lila avait fait deux pétards. Détendues les filles. Elles roulaient des yeux quand elles parlaient de lui, vantant le caractère doux, la mentalité, le regard, l’allure de ce mec qu’elles convoitaient toutes les deux. Leur type de mec quasi idéal : sa façon d’être libre, son côté aventurier, ses belles folies, anticonformiste juste ce qu’il faut, une provocation bien dosée.  Elles étaient certaines l’une et l’autre qu’il les aimait toutes les deux, s’avouant les gestes tendres qu’il avait eu pour l’une et pour l’autre. Mais elles se sentaient aussi mal à l’aise en sachant que le bonheur de l’une serait noirci par la tristesse de l’autre quand le moment arrivera. Babette, la première, a commencé à en parler, sur un ton faussement léger en allant chercher une autre bouteille de Viognier au frigo.

  • De toute façon, tu as quand même plus de chance que moi : il cèdera à ta jeunesse, à ton corps de belle salope !...
  • Je n’en suis pas si certaine. Un flirt de jeunesse est quelque chose de très fort. Et même mon âge peut être un frein pour un mec comme lui ! Et t’as aussi un joli corps de cougar !
  • Avec mes nibards qui tombent de plus en plus ?!
  • Mais beaux
  • Quand il verra les tiens….C’est ça : il faut que je le décide avant qu’il voit les tiens, sinon je suis grillée !
  • Ben dépêches toi, je pose pour lui dans 8 jours : du nue !

 

Elles ont fini par s’endormir dans le salon, le dernier CD des Stones en continue : une sur le tapis et l’autre sur le sofa. Elles ont commencé à bouger vers midi. Café corsé et Doliprane !

C’est Babette qui a relancé le sujet, comme on lance des dés, une fois installé sur la terrasse, dans les transats et lunettes de soleil :

  • Et si on se le partageait ?

Lila a éclaté de rire, en renversant sa tasse !

  • Tu prends quoi : le côté gauche ou le côté droit ?

Mais Babette, tout en souriant, restait sérieuse :

  • Avec toi, ça ne me ferait rien. Quelques jours par ci, quelques jours par là chacune…
  • T’es sérieuse alors ?...Ouais, moi aussi…je crois que ça ne me gênerais pas avec toi. Purée ! Quel mec pourrait refuser une telle offre ?
  • Lui !

 

  C’est encore chez Babette qu’ils se sont retrouvés tous les 3, quelques jours après la séance photos avec Lila.

Babette l’avait invité chez elle. Il était sur la terrasse quand ça a sonné à la porte. C’était Lila, qui, comme convenu entre elles, arrivait un peu plus tard. Elles se sont marrées quand elles ont vu la tête qu’il a fait en découvrant Lila.

  • Je te présente Lila. Mais je crois que vous vous connaissez déjà.. ?

Il a sourit puis il leur a dit :

  • C’est un coup monté ?
  • Un peu, oui, on l’avoue, dit Lila.

Assis, maintenant, dans un confortable fauteuil en face du canapé où elles étaient toutes les deux, il avait la mauvaise impression d’être devant un jury ou un truc comme ça ! Il a commencé par les écouter lui dire comment elles étaient les meilleures copines du monde, comment elles ont compris qu’elles étaient toutes les deux très amoureuses de lui. Et elles lui ont dit qu’elles préféraient l’avoir un petit peu que pas du tout et c’est pratiquement ensemble, en se partageant les phrases, qu’elles ont pu leur faire leur proposition d’amour à trois. Il les écoutait, toujours sans un mot, médusé et un peu amusé. Il n’en avait même pas rêvé ! Ses rêves n’allaient pas si loin !  Il les aimait fort séparément mais n’avait pas imaginé les aimer ensemble !

Lila a rompu le silence qui s’installait :

  • Un mec comme toi, anticonformiste, ça ne doit pas lui déplaire… ?
  • Vous êtes certaines de ça ?...je veux dire…je suppose que vous en avez parlé pas mal entre vous ?...
  • Une nuit entière, dit Babette, avec quatre bouteilles de Viognier et quelques bières
  • Et vous croyez que ça peut fonctionner longtemps ?
  • On s’en fout de la durée ! lui a répondu Babette. Tu ne crois pas qu’il faut saisir le bonheur quand il se présente, le prendre tel qu’il est, surtout quand on a dépassé la cinquantaine ?
  • Et vous voyez ça comment : 1 jour sur 2, une semaine sur 2,… ?
  • Purée tu es cartésien ce soir, un vrai instit’ ! dit Lila. Qui te parle de gérer… ?
  • Ça va mal finir ditil en se frottant la tête dans les mains.
  • Mais arrêtes de lire le journal en commençant par la fin ! s’est exclamé Babette.

Il a rit. Puis il a laissé installé un silence tout en les regardant dans les yeux comme pour sonder le fond de leur âme.

  • Ouais, t’as raison ! C’est si…surprenant. Irréel. Vous êtes magnifiques, superbes, toutes les deux, j’aime tout en vous deux, les corps et les esprits. Ça fait des semaines que je vous ai dans ma tête. Des semaines que je me demande avec laquelle je vivrais la plus belle histoire, et à laquelle des deux je ferais le plus de peine, et, là, je découvre que je peux aussi casser une très belle amitié ! Waouh, quelle responsabilité !
  • Notre amitié ne concerne que nous deux, tu n’as rien à voir là dedans lui dit Babette
  • Un peu, si…Ça fait deux ans que je vis seul et là, vous me proposer de faire ménage à trois… !
  • Non, non, pas un ménage à trois. Un amour à trois. Chacun chez soi.
  • Oui, mais un temps divisé par trois pour moi ! Je pars souvent : la photo, les treks,…
  • Et on t’attendra

Ils ont continué à échanger, à déconner. Un pétard a tourné. Ils ont diner ensemble, sur la table basse du salon comme s’ils ne voulaient pas trop s’éloigner du sujet. Vers la fin de la soirée, il s’est retrouvé comme dans un mauvais film érotique, avec une nana assise sur chaque large accoudoir du fauteuil,…cerné, serré ! D’un seul geste il s’est levé, a fait quelques pas vers la porte d’entrée, a ramassé son chapeau australien sur le porte manteau et il s’est retourné vers elles :

  • Je dois partir un peu. Et c’est mieux pour moi. Laissez moi un peu de temps….Je vous rappelle rapidement.

Des bisous et à très vite !

 

  Deux jours après, en pleine canicule, il leur téléphonait pour leur dire qu’il venait de partir avec son sac à dos et son fils, Jules, sur le chemin de Compostelle, pour un reportage photo sur la voie du Puy et le Camino del Norte, dans le style immersion.

Pendant ce voyage à pied, ils s’envoyaient parfois des SMS, MMS. Puis, silence radio, plus de nouvelles, 15 jours, 1 mois…Elles ont commencé à paniquer : non, c’était pas un accident, il les auraient appelé. Une autre fille ? Elles ont donc décidé d’appeler Jules. Il leur a annoncé que son père, après leur arrivée à Fisterra, a décidé de traverser vers l’Amérique latine en Patagonie.

  • Il m’a dit : « dis leur que je veux profiter encore un peu de moi ».

 

Alors, elles avaient décidé de marcher sur ses pas. Elles sont parties du Puy aussi, ont traversé l’Aubrac, sont arrivées dans le Gers, et se laissaient aller aux charmes du chemin. En fait, elles faisaient aussi un espèce de pèlerinage, non ?…pour retrouver quelqu’un. Elles n’avaient pas forcément l’intention d’aller jusqu’au bout, jusqu’à Saint Jacques puis Fisterra. Elles voulaient arriver à l’auberge que Jules venait d’ouvrir sur la côte cantabrique, à San Vicente de la Barquera. Et après ? Après, il allait forcément revenir…elles en étaient certaines. Ces nanas avaient l’air plus amoureuses que jamais ! Elles étaient l’illustration du célèbre adage « Je te fuis, tu m’aimes ». Tout en vivant tout ceci d’une manière très gaie.

 

Lorsque je les ai quitté le lendemain au croisement de nos chemins, si belles toutes les deux, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à celui qu’elles aimaient. Il devait être beaucoup plus bel homme que moi pour être autant aimé par ces deux jolies filles à la fois !. Perso je n’aurai pas hésité : j’aurai sacrifié un peu de liberté pour un plaisir illimité ! Et tant pis si ce n’était pas pour longtemps ! Lequel des deux, entre lui et moi, était le plus aventurier ? Est-ce celui qui est parti au bout du monde avec son sac à dos ou celui qui vit une histoire d’amour comme celle là ?. J’ai fini par comprendre qu’il était plus libre et plus aventurier que moi, car il peut vivre les deux !

Et je suis certain qu’il devait être là pour leur retour…

 

BABETTE ET LILA
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