BETTY BOOP
On l’appelait Betty Boop, je n’ai jamais su pourquoi.
Elle qui avait été si bavarde jusqu’à présent, elle surprenait maintenant tout le monde par
son silence. Elle avait appris sur le chemin la valeur des mots, à les rendre plus puissants
en les faisant rares. Pendant 2 mois elle avait plus écouté que parlé. Et elle s’en sentait
mieux. Beaucoup mieux.
Depuis qu’elle était revenue de St Jacques de Compostelle elle avait retrouvée la solitude
qui l’attendait partout où elle allait depuis qu’il était parti. C’était avant qu’elle prenne le
« camino ». Il y avait eu les cris et les pleurs et la porte qui claque. C’est souvent comme ça
que la solitude rentre !. Maintenant elle n’avait plus qu’elle même pour se suffire. C’était
peut être mieux ainsi. Il lui semblait qu’elle n’avait plus assez d’amour à offrir ; Alors à quoi
bon ? Pourquoi chercher l’amour d’un autre ? Elle avait tellement de bons souvenirs, des
hommes qui l’avaient aimé puis qui étaient partis. Elle en était à l’automne de sa vie et elle
sentait que l’hiver pouvait avoir de l’avance. Mais. Mais elle était libre. Libre de vivre où elle
voulait, libre de faire ce qu’elle voulait de ses journées solitaires. La solitude est le prix à
payer pour avoir la liberté. Une liberté à effrayer n’importe quelle prince ou rock star.
Même elle, parfois, elle ne savait plus quoi faire de tout ce tas de liberté !
Il y en avait encore bien un qui venait la voir parfois, un qui avait été parenthèse avant de
faire 3 points de suspension. Un qu’elle aimait encore comme quand on aime un mec de
magasine, un mec de papier. Il n’était plus un rêve depuis longtemps car un rêve peut se
réaliser. Pourtant il l’avait tant aimé autrefois, quand ils en étaient à leur été. Et elle n’avait
rien fait pour le faire chavirer. Elle l’a laissé passer et rejoindre sa vie à lui, d’homme marié.
Et elle ne le regrettait même pas. Au contraire, ainsi il restait désirable. Et tant pis pour
Cupidon, le charme était plus fort chez Platon.
Elle continuait à vivre ainsi, sans personne à qui ne rien dire, sans épaule à soutenir.
Bizarre, c’est ce qu’on disait d’elle. « Elle est bizarre depuis qu’elle est revenu de là bas ».
Tout le monde disait qu’elle était en train de se renfermer. Alors qu’elle ne s’était jamais
sentie aussi ouverte. Ouverte aux parfums, aux vents, à la pluie, aux bruits des pas. Elle se
sentait si bien qu’elle n’avait besoin de personne d’autre que de son imaginaire et, parfois,
de ses souvenirs, sans nostalgie.
Oui, elle devait repartir. Partir avec ses semelles et son sac sur le dos comme si elle partait
pour faire le tour de la terre et laisser tout le reste là, avec cette solitude et ces silences.
S’effacer lentement, à la vitesse de sa marche.
Et puis, sur le « camino » il lui semblait qu’elle sentait le regard et la main de Nina, sa fille,
sa tendresse, partie de l’autre côté, subitement à son treizième printemps. Son fils qu’elle
aimait si fort comprendrai, pensait-elle, évidemment car s’était son fils.
Marcher jusqu’aux horizons, jusqu’à s’écrouler.
Toutes celles et tous ceux qui l’ont croisé sur ce chemin l’ont aimé. Elle ne s’était jamais
sentie aussi vivante que depuis qu’elle était repartie. Jusqu’au bout du bout, jusqu’à l’océan
où elle a plongé par une fin d’après-midi pour s’y perdre, sans même crier une dernière fois.
Fisterra, Espagne, 15 mai 2019